Création de Riex - commune autonome
lors du démembrement de la Commune générale
de Villette :
Le texte qui suit est un condensé
du mémoire de licence de M. Jean-Michel
Savary, en faculté des lettres de l’Université
de Lausanne. Ce document nous a été
aimablement remis par son père, M. André
Savary, ancien pasteur de la paroisse de Cully,
Epesses et Riex, et aujourd’hui retraité.
Un excellent opuscule a vu le jour
cet été, sous la plume de M. Louis-Daniel
Perret, historien, intitulé "Dans
la grande Commune de Villette, la Bourgeoisie
d'Aran et Chatagny". La commune de Villette
a soutenu la création de cette brochure,
dont elle nous a gracieusement offert un exemplaire,
qui peut être consulté au bureau
communal.
Sommaire :
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Historique
de la région.
Le terme de Lavaux n’apparaît
qu’au 12ème siècle. Lavaux
ou « la Vallée » fut d’abord
associé à celui de Lutry. En effet,
une bulle d’Innocent II fait mention en
1138 de « vallis de Lustriaco », expression
qui, traduite en français de l’époque,
devint « la Vaulx de Lustrie ». Par
la suite, ce terme engloba dans les documents
les localités voisines : Riex en 1327,
Aran en 1329 et Villette en 1330.
Dès lors, « la Vaulx de Lutry »
a été couramment employé
jusqu’à la fin du 15ème siècle
pour désigner exclusivement la paroisse
de Villette, soit le territoire qui forme actuellement
le cercle de Cully. Ce n’est qu’au
début du 16ème siècle que
« la Vaulx » se contracta en «
Lavaux » et qu’on appliqua ce vocable
aux paroisses de Lutry, Saint-Saphorin et Corsier.
A ce moment, le nom de Lavaux recouvrait donc
l’ensemble des terres appartenant, le long
du lac, à l’évêque de
Lausanne, et l’expression géographique
de Lavaux se doubla au cours des siècles
d’un sens politique.
En matière ecclésiastique, Lavaux
était divisé en quatre grandes paroisses
: Lutry, Villette, Saint-Saphorin et Corsier.
Ces communautés se transformèrent
plus ou moins vite en associations à caractère
mi-religieux, mi-civil, très soucieuses
de défendre leurs libertés et franchises.
La conquête bernoise n’apporta pas
de profondes modifications ; suivant le système
imposé par les nouveaux maîtres,
Lavaux devint une partie du baillage de Lausanne.
Les quatre paroisses abandonnèrent de plus
en plus leur statut religieux pour adopter un
caractère purement civil.
Lors de la révolution vaudoise, comme partout
ailleurs dans le canton, les baillages furent
remplacés par les districts. Les paroisses
de Lutry, Villette et Saint-Saphorin formèrent
alors le district de Lavaux, alors que Corsier
fut versé dans celui de Vevey. Les trois
cercles actuels du district de Lavaux correspondent
aux trois anciennes paroisses.
Le début du 19ème siècle
marqua le fractionnement des paroisses de Lavaux.
En 1810, Saint-Saphorin fut la première
à se diviser en 4 nouvelles communes, Saint-Saphorin,
Rivaz, Chexbres et Puidoux. En 1823, Savigny se
détacha de Lutry et en 1824, le décret
instituant le partage de Villette en 6 communes
fut accepté. Pour terminer, signalons que
Corsier, ancienne paroisse de Lavaux, fut disloquée
en 1829, formant les quatre nouvelles communes
de Corsier, Corseaux, Chardonne et Jongny.
Division
territoriale de la Paroisse de Villette.
Dès le régime bernois,
la paroisse acquit un statut purement civil, et
l’on parla alors de
« Commune générale de Villette
».
On faisait tout d’abord une distinction
entre le vignoble et les Monts de Villette (actuel
territoire de Forel). Le vignoble était
ensuite divisé en huit parties appelées
« quarts ».
Quarts de deçà :
1-2) Cully, comptant pour deux quarts en raison
de l’importance de sa population
3) Riex
4) Epesses, le quart d’Epesses se subdivisant
lui-même en « tiers », Epesses
pour 2/3 et le Crêt d’Epesses pour
1/3, subdivision abolie en 1658.
Quarts de delà
:
1) Grandvaux
2) Chenaux et Bahyse
3) Curson, Lalex, Crête, Baussan
4) Aran, Villette, Chatagny
La division en quarts avait pour but de fixer
les représentations au Conseil et au Rière
Conseil de la Commune générale.
Les habitants des Monts de Villette, dont le territoire
n’était pas compris dans cette division,
ne participaient de ce fait pas à l’organisation
communale et étaient administrés
par les bourgeois du vignoble.
Au cours des 16ème et 17ème siècles,
le pouvoir communal s’était considérablement
affaibli, ayant distribué une grande partie
des biens communaux à des confréries
de caractère semi-privé, en leur
abandonnant la plupart des services publics. La
commune se trouvait donc délestée
de tout pouvoir financier, laissant ainsi une
liberté quasi-totale aux confréries
pour l’utilisation des fonds publics.
La situation n’était guère
meilleure quant au pouvoir politique et les Conseils
et Rière Conseils devinrent rapidement
une autorité factice sans aucune indépendance
vis-à-vis des confréries. Seule,
la rivalité qui existait entre certains
conseillers imposaient des limites aux exactions
de certaines de ces corporations.
Lavaux comptait les huit confréries de
Cully, Riex, Epesses, Grandvaux, Curson, Chenaux,
Aran et Villette, mais celles-ci ne correspondaient
pas exactement aux 8 quarts territoriaux.
La confrérie
de Riex.
Grâce au rapport de 1813,
on connaît assez précisément
les conditions d’entrée dans cette
confrérie :
• Étant marié, être
âgé de 25 ans révolus
• Etant célibataire, avoir 30 ans
révolus
• Etre reconnu par l’assemblée
des membres comme étant de bonnes mœurs
et de bonne conduite
• Avoir son domicile dans le quart de Riex
• Payer 4 francs d’émoluments
lors de son admission
• Prêter serment de se conformer aux
règlements
Plus tard, il fallut en outre appartenir à
l’une des familles de la confrérie
pour pouvoir y adhérer.
L’assemblée générale
nommait un président, ou banderet, un secrétaire,
un gouverneur et un recteur des pauvres, ces charges
étant bien sûr rémunérées.
Contrairement à ce qui se passait dans
la confrérie de Cully, seule l’assemblée
générale de tous les membres était
compétente pour gérer les biens
; on évitait ainsi des dépenses
faites au profit de certains membres.
Après avoir réglé toutes
les dépenses, les confrères recevaient
annuellement une participation aux bénéfices
: elle s’éleva en 1811, par exemple,
à 8.- Fr par confrère.
Les 3 confréries de Cully, Riex et Epesses
étaient d’autre part responsables
de l’entretien du temple de Cully, et se
partageaient les frais de la manière suivante
(qui a subsisté jusqu'au début des
années 2000) : Cully ½, Riex ¼,
Epesses ¼.
Abus des confréries.
Dans leurs activités, les
confréries avaient donc tout des services
publics, directement dépendants des autorités
communales. Mais elles pratiquaient un double
jeu : quand il fallait percevoir de l’argent
ou réclamer des journées de travail,
elles se comportaient en effet comme des services
publics ; à l’inverse quand il s’agissait
de contrôler leur gestion ou l’origine
de leurs fonds, les confréries déniaient
tout droit d’inspection aux autorités
communales ou cantonales, prétextant qu’elles
n’étaient que de simples associations
privées.
La confusion qui est faite entre bourgeoisie et
confrérie est révélatrice
de la difficulté qu’il y avait à
déterminer si ces groupements constituaient
des associations publiques ou privées.
Elles assumèrent très tôt
des charges publiques, mais sans que ce statut
soit légitimé et ratifié
par des lois, et les confréries pouvaient
évidemment profiter de cette lacune : «
plusieurs confréries ont vendu des fonds
pour en acheter d’autres sans avoir demandé
l’autorisation au Petit-Conseil ; elles
estiment qu’on ne peut les envisager que
comme des sociétés particulières
soit bourses de familles, et en conséquence
elles prétendent ne devoir pas être
assujetties sous ce rapport aux mêmes conditions
que les communes. »
Pétitions
et plaintes des habitants.
Les habitants des différents
quarts, non-membres des confréries, se
plaignirent à plusieurs reprises des taxes
et travaux qu’on leur imposait et cela,
ajoutaient-ils, dans le seul but d’enrichir
les confréries.
En 1799, par exemple, plusieurs habitants de la
Commune générale envoyèrent
une pétition aux Conseils législatifs
Helvétiques, demandant que l’on instaurât
des Chambres de Régie pour gérer
les biens des confréries. Celles-ci s’empressèrent
d’envoyer au gouvernement une requête
demandant que leur statut de simples groupements
privés soit préservé.
Le gouvernement refusa d’entre en matière
et fit paraître un décret qui confirmait
l’autonomie des confréries et leur
indépendance vis-à-vis de l’autorité
communale.
En 1813, à la suite de nombreuses plaintes,
le Petit-Conseil décida d’envoyer
son Lieutenant visiter ces confréries pour
faire un rapport circonstancié sur leur
organisation. Le 31 août 1813, malgré
les protestations des confréries, le Petit-Conseil
décida en conséquence que l’administration
des biens des confréries devait être
mise sous la même surveillance que celle
des biens communaux.
Le Grand-Conseil ratifia ensuite, le 2 juin 1815,
l’article 101 de la loi sur l’organisation
des municipalités, allant dans le même
sens, mais cette décision n’entraîna
pas cependant une meilleure organisation et gestion
à l’intérieur des confréries.
En 1821, certains membres de la confrérie
de Cully, avec à leur tête le pasteur
Bidaux, envoyèrent une pétition
dans laquelle ils critiquaient violemment le Conseil
de leur confrérie. Ils s’insurgeaient
contre le fait que les Conseillers s’octroyaient
tous les travaux que la confrérie avait
à effectuer ; les vignes étaient,
selon les pétitionnaires, mal exploitées,
et une partie du vin de la confrérie finissait
dans les caves des conseillers. Pour terminer,
les comptes n’étaient pas rendus
chaque année, comme le précisait
le règlement de 1750.
Le département de l’intérieur
confirma ces propos et releva entre autres «
que la comptabilité de la confrérie
de Cully n’était pas tenue de façon
légale, que les pauvres n’étaient
pas suffisamment assistés, que l’entretien
des bâtiments publics laissait à
désirer, alors que les membres du Conseil
se répartissaient généreusement
certains bénéfices. »
L’inévitable résultat de ces
nombreux abus devait être le démembrement
de la Commune générale, la loi du
2 juin 1815 étant restée sans effet.
Elaboration
du décret.
A la fin de 1822, les habitants
d’Epesses demandèrent, dans une pétition
envoyée au Conseil d’Etat, à
ce que leur quart formât à lui seul
une commune autonome, pétition signée
par tous les habitants, membres de la confrérie
ou non. Cette nouvelle entente était due
au fait que la confrérie était très
appauvrie, et qu’en conséquence les
chemins étaient très mal entretenus
et les bâtiments publics étaient
dans un état de délabrement avancé.
En janvier 1823, les hameaux de Forel, Aran et
Villette envoyèrent des pétitions
allant dans le même sens. A la suite de
ces requêtes, le Conseil d’Etat décida
en principe qu’il y aurait partage de la
Commune générale de Villette. On
nomma en conséquence, au début de
1823, une commission chargée de prendre
l’avis des représentants de la Commune
générale et de voir quels allaient
être les avantages ou désavantages
d’un tel démembrement.
Dans son rapport, la commission se déclarait
favorable au démembrement, et ceci pour
les raisons suivantes :
1) Le démembrement avait l’avantage
de mettre fin aux conflits qui opposaient continuellement
les confréries
2) Il mettrait un terme à la mauvaise administration
des confréries. La commission estimait
que les confrères qui avaient fait preuve
de parcimonie et de mauvaise gestion étaient
responsables du mauvais entretien de certains
quarts.
3) La superficie de la Commune générale
et sa division en quarts occasionnait de grands
frais administratifs qu’il fallait absolument
supprimer.
4) La réunion des biens tant particuliers
que généraux qui aurait lieu en
faveur des nouvelles communes favoriserait une
meilleure administration.
5) Le démembrement allait permettre de
clarifier les droits des familles à charge
commune de Villette et Lutry.
6) Finalement, la commission estimait que le partage
allait faire disparaître les différences
et jalousies qui avaient considérablement
entravé l’administration de la Commune
générale.
Division
du territoire.
Le 20 mai 1823, le Département
de l’Intérieur estima dans un rapport
que « la division en six communes était
celle qui comportait le moins d’inconvénients
parce qu’elle était souhaitée
de tous côtés et qu’elle prévenait
les rivalités et jalousies qui auraient
pu exister dans de grandes communes ». Il
proposait en conséquence la division suivante:
1) Les Monts de Villette, chef-lieu Forel
2) Villette et Aran, chef-lieu Villette
3) Grandvaux, Chenaux et Curson, chef lieu Grandvaux
4) Cully
5) Riex
6) Epesses
Cette division fut refusée par le Grand-Conseil
le 6 juin 1823, et la commission fut chargée
de demander leur avis aux confrères et
habitants des différents quarts.
Les confrères de Cully et Riex ne désiraient
pas le partage, contrairement aux non-membres,
qui étaient favorables à un démembrement
en six communes.
La confrérie de Chenaux souhait former
une commune indépendante.
Celle de Curson souhaitait être rattachés
à Grandvaux et non à Chenaux.
Tous les ressortissants d’Aran et Villette
étaient favorables au démembrement,
à condition qu’Aran et Villette ne
forment qu’une seule commune.
Les confrères de Grandvaux désiraient
le statut quo, alors que les non-membres étaient
favorables à une nouvelle commune, mais
sans Chenaux et Curson.
En dernier lieu, les habitants des Monts de Villette
étaient très favorables au démembrement,
pour autant qu’une grande partie des biens
de la Commune générale fût
versée dans leur nouvelle bourse communale.
On pouvait donc remarquer deux groupes bien distincts
:
• Les confréries qui n’avaient
pas de grandes ressources financières étaient
favorables au démembrement, qui leur permettait
de repartir sur des bases financières plus
saines.
• Au contraire, les confréries «
riches » comme celles de Cully, Riex et
Grandvaux voyaient d’un mauvais œil
tout partage.
La division finalement adoptée fut alors
celle qui subsiste encore aujourd’hui.
Mémoire
des confréries de Riex, Cully, Grandvaux,
Chenaux et Curson.
Le Conseil d’Etat rédigea
en mai puis en août 1823 les deux premiers
projets de décret, qui furent rejetés
par le Grand-Conseil, qui les estima trop lacunaires
et imprécis. Il souhaitait également
que l’on prît l’avis des confréries.
Celles rédigèrent alors, en avril
1824, un mémoire à l’intention
du Grand-Conseil, dans lequel elles déclaraient
en substance que « leurs biens étaient
privés et devraient revenir aux familles
auxquels ils appartenaient, si un démembrement
devait avoir lieu». Il contestait également
l’autorité du Conseil d’Etat
pour « régler les difficultés
s’élevant lors du démembrement.
»
Décret
du 15 mai 1824.
Loin de tenir compte des récriminations
des confréries, le Grand-Conseil adopta,
le
15 mai 1824, le décret sur le démembrement
de la Commune générale de Villette
:
Le Grand-Conseil
du Canton de Vaud,
Sur la proposition du Conseil d’Etat
Vu les pétitions qui ont été
présentées au Conseil d’Etat
pour demander le partage
et la division de la Commune générale
de Villette
Vu le rapport du Conseil d’Etat sur les
inconvénients et les difficultés
qui naissent
du mode actuel de l’administration de cette
grande commune
Et considérant les avantages qui doivent
résulter du partage proposé,
Décrète :
Article 1er.
La commune générale de Villette
sera divisée en 6 communes, savoir :
1) Cully et Chenaux ; chef-lieu Cully ;
2) Riex ;
3) Epesses ;
4) Grandvaux et Curson ; chef-lieu Grandvaux ;
5) Villette et Aran ; chef-lieu Villette :
6) Forel, qui comprend les Monts de Villette.
Ce décret comprend 10 articles,
qui définissent au mieux les modalités
de l’opération.
Application
du décret.
Bien avant le 15 mai 1824, en raison
des rumeurs de démembrement, les confréries
ne voulaient plus effectuer de nouvelles dépenses
pour les bâtiments publics, vignes, chemins
ou fontaines : la plupart des habitants réclamaient
donc que la dislocation s’effectuât
le plus rapidement possible.Les modalités
d’application durèrent cependant
plus de deux ans.
Formation
des différentes commissions.
La première tâche
fut de former les conseils provisoires de chaque
commune, la délégation chargée
du partage et les représentants des confréries.
Le conseil provisoire fut le suivant
- Cully : M. le Juge Abram Rey
- Riex : M. Abram-Frédéric Lin
- Epesses : M. Louis Fonjallaz
- Grandvaux : M. François Lederrey, municipal
- Villette : M. Jacques-Louis Parisod
- Forel : M Jean-François Noverraz
En parallèle, les confréries
désignèrent les représentants
suivants :
- Cully : M. le syndic Bidaux
- Chenaux : M. Paul-Frédéric Chambaz
- Riex : M. François-Gédéon
Borgognon
- Epesses : M. Jean-Antoine Fonjallaz
- Grandvaux : M. Dumur père
- Curson : M. Jean Cuénoud
- Aran : M. Jean-Louis Parisod
- Villette : M. Samuel Lin
Superficie
assignée à chaque commune.
Une des premières tâches
de la délégation fut de fixer la
superficie territoriale assignée aux nouvelles
communes.
En juin 1824, M. Roguin de Bons proposait donc
que les anciens quarts forment approximativement
le support territorial des nouvelles communes.
Riex posait cependant un épineux problème,
car c’était la seule commune du vignoble
à ne pas avoir accès au lac. Son
conseil provisoire s’en plaignait d’ailleurs
amèrement :
« … tandis que les communes d’Epesses,
Grandvaux et Villette aboutiront au lac, la commune
de Cully, voulant se servir des bornes de la confrérie
de Cully, cherche à étendre son
territoire tout le long du lac, jusque sous les
murs et même dans une partie du village
de Riex, pour ne laisser à cette commune
que le terrain le plus élevé du
côté de la montagne de Gourze, ce
qui ne serait ni juste ni équitable.»
Il faut savoir à ce propos que l’accès
au lac était d’un grand intérêt
économique car il permettait de s’approvisionner
en sables et graviers, et d’établir
un éventuel port de pêche.
Le Conseil d’Etat refusa cependant de tenir
compte de la requête de Riex, prétextant
« qu’il serait fort dommageable pour
Cully de se voir enlever son port sur lequel elle
devait exercer une surveillance continuelle. »
En contrepartie, il fit inscrire dans l’acte
de partage la réserve selon laquelle toutes
les communes devaient avoir le droit de prendre
le gravier et le sable dont elles pourraient avoir
besoin.
Ce ne fut qu’en juillet 1825 que les limites
des différentes communes furent définitivement
fixées et légalisées. En
comparaison avec les quarts, les nouvelles communes
allaient avoir une superficie beaucoup plus grande
et s’étendant plus au nord.
Rachat des
charges.
L’article 5 du décret
mentionnait qu’il serait fait, sur les biens
de chaque confrérie, un prélèvement
à titre de rachat des charges et dépenses
publiques que les confrères avaient assumés
dans la passé. Comme on l’imagine,
l’exécution de cet article posa les
plus épineux problèmes à
la délégation chargée du
partage : en effet, quelques confréries
refusèrent systématiquement toutes
les taxations qui leur furent soumises. D’autres
se soumirent sans trop de contestations à
ces taxations :
- Aran : la confrérie était fort
pauvre, et dut verser en conséquence l’entier
de son avoir, soit 9’211 Fr
- Villette : la confrérie se trouvait dans
une situation financière encore plus défavorable
que celle d’Aran, elle dut également
verser l’entier de son avoir, soit 1'540
Fr
- Riex : la confrérie était beaucoup
plus prospère, et dut s’acquitter
d’un montant global de 60'200 Fr
- Epesses : cette confrérie, fort démunie,
avait également accepté de remettre
à la nouvelle commune l’ensemble
de ses biens, estimés à 8’643
Fr
- Curson : la confrérie protesta contre
la façon avec laquelle elle avait été
taxée. Après moult palabres, elle
s’acquitta de 5'295 Fr
- Grandvaux :le Conseil d’Etat approuva
les estimations du Conseil provisoire, et la confrérie
dut payer à contre-cœur un montant
de 27'636 Fr
- Chenaux : la confrérie, pour soutenir
celle de Cully, s’opposa aux taxations proposées.
Tout rentra rapidement dans l’ordre et la
confrérie, très démunie,
céda l’ensemble de ses biens, pour
un montant de 7'485 Fr
- Cully : ce fut la confrérie qui refusa
le plus violemment les taxations faites. Le 23
octobre 1824, le Conseil d’Etat, à
qui la délégation avait remis son
rapport, rendit une décision acceptant
le décompte proposé. Le 30 novembre
de la même année, la confrérie
de Cully fit éditer un mémoire dans
lequel elle exposait ses objections et réclamations.
A la suite de ce mémoire, le Conseil d’Etat
déclara qu’il ne croyait pas «
être appelé à répondre
à des déclarations aussi peu mesurées.
» Il remit alors le mémoire au Grand-Conseil,
qui confirma la décision du 23 octobre.
La confrérie de Cully se devait alors d’effectuer
201'385 Fr de paiements. Le 14 décembre
1824, la confrérie refusa de discuter du
mode de paiement, prétendant vouloir faire
recours à l’autorité supérieure.
Le 26 janvier 1825, onze membres de la confrérie
de Cully envoyèrent une pétition
se plaignant « des partages secrets qui
se faisaient entre certains confrères.
» D’autre part,
M. Roguin de Bons avait appris de son côté
qu’une commission secrète s’était
formée, qui employait l’argent à
discrétion et dont le but avoué
était d’entraver les démarches
relatives à l’application du décret.
Il proposa alors de mettre en régie les
biens de la confrérie de Cully.
Suite à cette demande, le Conseil d’Etat
envoya un dernier ultimatum à la confrérie
de Cully, en leur fixant un ultime délai
au 31 janvier 1825. Celle-ci ne se laissa pas
impressionner, et envoya une nouvelle pétition
prétendant que le Conseil d’Etat
n’avait qu’une autorité administrative
et ne pouvait pas leur enlever des propriétés
sans décision des tribunaux.
M. Roguin de Bons remarquait que la résistance
de la confrérie de Cully influait sur tous
les esprits et tendait « à paralyser
la culture des terres et à désorganiser
l’administration des biens ». Ayant
déjà reçu des menaces de
mort, il se demandait s’il n’était
pas nécessaire d’envoyer la force
armée à Cully pour y rétablir
l’ordre.
Le Conseil d’Etat n’en arriva pas
là, mais adopta, le 1er février
1825, un texte qui prononçait la mise sous
régie la confrérie de Cully, en
suspendant immédiatement son Conseil et
en désignant un Conseil de régie.
Il fut alors possible de mettre rapidement un
terme aux négociations.
Il semble que le premier souci du Conseil d’Etat
ait été de donner une assise financière
confortable aux nouvelles communes. Mais le gouvernement
faisait d’une pierre deux coups, en décidant
du rachat des charges, il consacrait en plus la
dissolution des confréries qui avaient
été une source constante de plaintes
et de mécontentement.
Partage de
l’excédent des biens.
Selon l’article 6 du décret
du 15 mai 1824, les confrères devaient
se partager les biens qui pouvaient subsister
après les différents rachats. Seules
les confréries Cully, Riex et Grandvaux
furent concernées, les autres ayant dû
verser l’ensemble de leurs biens.
Pour opérer le partage, il fallut dénombrer
les bourgeois de chaque commune. Un nommé
Jean-Louis Davel profita de la situation en se
mariant et inscrivant sa nouvelle épouse
le dernier jour du délai fixé.
Choix
des bourgeoisies.
De nombreuses personnes étaient
bourgeoises de la Commune générale,
sans faire partie d’aucune confrérie
ou bourgeoisie locale. Il s’agissait donc
de replacer tous ces bourgeois dans l’une
des six nouvelles communes.
Une publication invita donc chaque bourgeois à
se faire inscrire en désignant la commune
qu’il choisissait. Cela n’alla pas
sans problème, puisque chacun voulait d’abord
connaître le montant du prix d’entrée
pour chaque commune avant de faire son choix.
Un prix provisoire fut alors fixé, après
de savantes estimations : 80 Fr pour Cully, 32
Fr pour Grandvaux, 48 Fr pour Riex, 22 Fr pour
Epesses, 10 Fr pour Villette et 3 Fr pour Forel.
Les membres de la confrérie de Cully envoyèrent
une nouvelle pétition, par laquelle ils
protestaient contre le prix fixé, qu’ils
jugeaient anormalement bas eu égard aux
sommes importantes que leur confrérie devait
verser dans la nouvelle commune.
Pour une fois, le Conseil d’Etat leur donna
raison et fixa lui-même, le 18 avril 1825,
les prix suivants : 349 Fr pour Cully, 225 Fr
pour Grandvaux, 91 Fr pour Riex, 45 Fr 2 bz 4
rp pour Villette, 24 Fr pour Epesses. Aucun versement
ne fut exigé pour l’entrée
en bourgeoisie à Forel.
A la suite de toutes ces démarches, on
put faire le décompte suivant pour toutes
les communes :
1075 bourgeois s’inscrivirent à Forel,
512 à Villette, 208 à Epesses, 200
à Cully, 110 à Riex et 32 à
Grandvaux.
La méthode employée comportait malgré
tout de sérieux défauts : en effet,
comme le prix d’entrée était
fixé en fonction de ce qu’avaient
versé les confréries, ce sont les
communes qui avaient le moins reçu qui
virent affluer une foule de bourgeois peu aisés,
uniquement attirés par le prix d’entrée
modique, ce que montre le nombre de bourgeois
inscrits à Forel.
Répartition
des pauvres.
Il restait, selon l’article
8 du décret, à répartir entre
les communes les bourgeois assistés par
la bourse publique. On en dénombrait au
total 1058.
Le conseil d’Etat décida que, pour
respecter une certaine équité, que
les pauvres seraient répartis en proportion
du nombre de bourgeois et de la richesse de chaque
commune.
Cette 2ème conditions était nécessaire
pour éviter une distorsion comme celle
apparue ci-dessus.
En fonction de ces deux paramètres, la
répartition donna les résultats
suivants :
Cully se vit attribuer 337 pauvres, Forel 273,
Riex 135, Villette 135, Epesses 105 et Grandvaux
73.
La répartition se fit par
tirage au sort, le 11 mai 1826. On utilisa trois
sacs : le premier contenait six billets contenant
les noms des six communes, le deuxième
renfermait les noms de tous les pauvres par famille,
alors que le dernier était consacré
aux pauvres n’ayant pas de famille.
Suite à une inscription tardive, cinq pauvres
supplémentaires furent portés à
la charge de Riex, qui se trouvait en fin de liste.
Répartition
des biens de la Commune générale.
L’article 4 du décret
prévoyait un partage dans la proportion
du nombre des bourgeois. Les biens de la confrérie
consistaient en bois, pour 157'235 Fr, un domaine
en Gourze, pour 6'623 Fr, divers immeubles répartis
dans les communes, pour 28'511 Fr et des créances
diverses pour 100'472, soit un montant global
de 293'841 Fr 3 bz
En fonction de divers paramètres, les communes
reçurent les montant suivants :
Cully 274'425 Fr, Riex 94'271 Fr, Epesses 46'052
Fr, Grandvaux 52'508 Fr, Villette 50'180 Fr et
Forel 83'137 Fr
Ratification
de l’acte de partage.
L’acte définitif de
partage de la Commune générale de
Villette fut signé le 11 août 1826
par les membres de la délégation
chargée du partage et il fut approuvé
par le Conseil d’Etat de 7 octobre de la
même année.
Election
des nouvelles autorités communales.
Il fallut tout d’abord procéder
à un recensement de la population de chaque
commune.
Les résultats furent les suivants :
Cully 970 habitants, Forel 954, Grandvaux 592,
Riex 464, Epesses 332 et Villette 295.
Cully, Forel et Grandvaux éliraient des
conseils communaux, alors qu’Epesses, Riex
et Villette auraient des conseils généraux.
Epesses et Villette devraient élire des
municipalités de 7 membres, alors que ce
nombre serait de 9 pour Riex.
L’assermentation des nouvelles autorités
eut lieu le 5 décembre 1826 à Grandvaux,
le 7 décembre à Riex et Epesses,
le 9 décembre à Villette, le 12
décembre à Cully et le 14 décembre
à Forel.
Cet acte final marquait enfin la
conclusion du démembrement et du partage
de la Commune générale de Villette.
Réunification
des communes de la Paroisse de Villette.
Il est amusant de constater que,
180 ans plus tard, les 5 communes dites "du
bas", soit celles du cercle de Cully, sans
Forel, ont tenté une réunification.
Après 4 ans de travaux préparatoires,
son principe a été approuvé
avec enthousiasme par 4 des communes, mais a malheureusement
capoté en raison du refus, du bout des
lèvres, des citoyens de Grandvaux.
Heureusement, la fusion a finalement été
acceptée en 2009, à une confortable
majorité, et la nouvelle commune de Bourg-en-Lavaux
verra le jour au 1er juillet 2011 !
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